Sous ses cieux chargés de nuages pâles, l’Afrique n’est pas si noire. Et quand souffle l’harmattan, il recouvre paysages, bêtes et gens d’une brume de poussière où s’estompe l'ombre même des arbres, où les couleurs se désespèrent ...
Dans le demi-jour papillotant propice à la sieste des lions, Margherita observe, sous le zonzonnement des mouches, ces chefs – d’œuvre gothiques de la nature, où les formes serpentines s’enchevêtrent aux humaines. Puis elle les transpose, tantôt minutieusement, tantôt à grands coups d’encre de Chine noire, brune, rouge, plus ou moins délavée, rehaussée parfois d’aquarelle vert céladon, sur des feuilles aux teintes diverses dont les dimensions souvent monumentales s’accordent à ses sujets d’inspiration. Et dans les marges de ces dessins, ornées de grotesques, il y a de l’enluminure médiévale de chez nous, l’artiste exilée volontaire ne pouvant totalement oublier ses propres racines romaines.
Elle y suggère des histoires, des contes obscurs. C’est là seulement que, à force de regard, on peut distinguer des visages ou des masques, des hommes ou des animaux, toute une vie nocturne et grouillante, comme lorsque l’on soulève une pierre brusquement, inquiétante quelquefois. Ce qui se cache dans l’ombre, sous les herbes mêmes avec lesquelles Margherita fabrique le papier brut qui lui sert de support et dont elle a enseigné la pratique à ses compatriotes d’occasion, manifestant ainsi, d’élégante façon, ce désir d’osmose, fût-elle momentanée, que tout artiste se doit d’éprouver devant une étrangère beauté.
—Maxime Préaud,
Conservateur général au Département des estampes de la Bibliothèque nationale de France
extrait de « Margherita del Baobab »